Le 28 juillet 1916 : réunion du conseil municipal d’Arras

Alors qu’une circulaire ministérielle invite les autorités départementales à préparer la reprise de la vie administrative et économique dans les régions envahies, le préfet du Pas-de-Calais émet l’idée de réunir le conseil municipal d’Arras à Boulogne-sur-Mer. Après une interruption de près de deux ans, le maire Louis Rohard convoque ainsi son conseil le 28 juillet matin à l’hôtel de ville de Boulogne.

Un voyage empêchant Félix Adam d’assister à cette réunion, c’est son adjoint Auguste Chochoy qui est chargé d’accueillir le maire d’Arras et ses conseillers dans la salle Eurvin. Au milieu d’une imposante assemblée, Louis Rohard, qui continue à administrer sa ville sous la mitraille de l’ennemi malgré ses 76 ans, reçoit les hommages de ses concitoyens réfugiés et les félicitations des conseillers municipaux.

Ces derniers sont ensuite conviés à examiner les mesures propres à préparer la rénovation d’Arras et à hâter la reprise de sa vie commerciale et industrielle. Mais les recettes habituelles de la commune sont réduites à néant. La perception d’impôts est suspendue, alors même que le coût des réparations augmente chaque jour davantage. Le concours de l’État et d’autres ressources extraordinaires seront en conséquence nécessaires.

Reconnaissant de l’accueil fait aux Arrageois par la ville de Boulogne, Louis Rohard fait déposer au monument du Souvenir français la gerbe qui lui a été offerte par ses concitoyens.

La réunion du conseil municipal d’Arras

M. le Maire d’Arras avait convoqué son conseil municipal le 28 juillet à 10 h et demi du matin dans une des salles de la mairie de Boulogne gracieusement mise à sa disposition par la municipalité de cette ville.

[…] À 11 heures M. le Maire d’Arras fait son entrée dans la salle au milieu des acclamations de l’assistance ; il est accompagné de MM. Briens, préfet du Pas-de-Calais ; Doutremepuich, conseiller général ; Défontaine, président du tribunal civil de Boulogne, Arrageois fidèle qui n’a jamais oublié sa petite patrie ; Jules Gerbore, vice-président du conseil de préfecture, etc.

17 conseillers municipaux sont présents : MM. Rohard, maire, Chabé, adjoint, Griffiths, Labbe, Paillard, Delansorme, Wartel, Legentil, Sevin, Lefebvre, Garrez, Carlier, Bauvin, Fourcy, Tricart, Blondel, Anselin.
4 sont mobilisés : MM. Paris, Dhotel, Flinois, Lemelle.
4 sont excusés : MM. Baggio, Eloy, Wattine, Ledieu.

M. Chochoy, adjoint au maire de Boulogne, souhaite en termes élevés et délicats la bienvenue au maire et aux édiles d’Arras.

[…] M. Rohard remercie en termes émus.

Une [sic] épisode aussi gracieuse qu’émouvante survient ensuite : au milieu de l’imposante assemblée apparait une charmante fillette vêtue de blanc ; dans sa chevelure un large ruban noir ; dans ses mains une gerbe de fleurs nouée aux couleurs nationales. On croirait une Alsacienne qui vient exprimer sa confiance dans le prochain retour à la Mère-Patrie : non, c’est une Arrageoise, Mlle Louise Goudemand qui vient offrir à M. le Maire l’hommage des réfugiés.

Elle s’exprime en ces termes :

"Monsieur le Maire,
"Les réfugiés de la Ville martyre dont vous êtes l’héroïque représentant, sont heureux et fiers de vous offrir l’hommage respectueux de leur vive sympathie.
"Ils vous prient de croire à l’éternel souvenir qu’Arras gardera au Maire qui sous les obus et la mitraille, fidèle à son poste est resté au milieu des ruines, pour que tout proche, bombardée depuis tantôt deux ans, est toujours l’ "Arras" que l’ennemi ne prendra pas tant que les souris ne mangeront pas les chats".

[…] Lorsque le calme est un peu rétabli, M. le Maire déclare la séance du conseil ouverte. M. Sevin est nommé secrétaire.

M. Rohard adresse un souvenir ému à la mémoire de MM. Émilien Bouchez et Caffenne décédés depuis la guerre ; il salue les Arrageois tombés au champ d’honneur pour la défense de la Patrie : il salue les victimes civiles, notamment M. Waquez, qui ont péri à Arras sous les coups des barbares.

Le conseil passe ensuite à l’examen des diverses affaires qui ont nécessité sa convocation.

Il vote des pensions de retraite à des employés et à des veuves d’employés municipaux, ainsi que des bourses au collège.

Le tarif de l’octroi arrivant à expiration est prorogé jusqu’à la fin de la guerre.

Le conseil examine ensuite la situation financière qui est évidemment déficitaire : les deux grandes sources de revenus de la ville sont en temps normal les centimes généraux et additionnels pour 600 000 francs environ, et l’octroi pour 550 000 francs. Or la perception des impôts est suspendue à Arras, et le produit de l’octroi vient de tomber à 18 000 francs pour le premier semestre 1916. Sans doute, bien des dépenses ont été supprimées dans une ville qui a perdu 96 p. 100 de ses habitants, mais certaines ne peuvent être évitées, notamment l’intérêt et l’amortissement des emprunts antérieurs. Le concours de l’État et d’autres ressources extraordinaires nous aideront à franchir ce cap difficile : ainsi, le département des Bouches-du-Rhône a fait à la ville d’Arras un don de 250 000 francs. Le conseil lui adresse ses biens vifs remerciements pour ce geste généreux qui est l’affirmation de la solidarité de tous les Français devant l’invasion.

La séance suspendue à midi et demi a été reprise à 3 heures. Dans une seconde partie, le conseil a examiné divers projets destinés à assurer le prompt relèvement économique de notre ville après la guerre ; des dispositions seront prises pour que les commerçants d’Arras aient le plus de facilités possible pour reprendre leur affaires.

Le conseil émet le vœu que la loi sur la réparation des dommages de guerre soit promptement déposée et votée au Parlement.

La séance s’est terminée à 5 h et demi après un échange de vues général dans lequel les conseillers ont été unanimes à exprimer leur confiance dans la rapidité de la restauration économique d’Arras après la délivrance.

F. A.

Le Lion d’Arras, samedi 5 août 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2. 

  • Le 27 juillet 2016 à 00h
Photographie noir et blanc montrant la façade d'un imposant bâtiment. À l'arrière une tour se détache.

Boulogne-sur-Mer. L'hôtel de ville et le beffroi. Archives départementales du Pas-de-Calais, 3 Fi 296.