Le 4 mai 1916 : décoration du maire d’Arras

Louis-Émile Rohard naît à Péronne le 12 mars 1840. Ancien élève de l’école des arts et métiers de Châlons, il est conducteur des ponts et chaussées lorsqu’il épouse Maria-Rosine Courtin à Saint-Nicolas en 1866. Installé à Arras, il lance une imprimerie, activité qui l’occupe jusqu’à son entrée dans la vie publique en 1900.

Élu au conseil municipal le 6 mai 1900, il est nommé deuxième adjoint le 20 mai, puis premier adjoint le 4 septembre 1903, en remplacement d’Eugène Minelle appelé à occuper la charge de maire laissée vacante par le décès prématuré d’Adolphe Lenglet. Confirmé dans ce poste en 1904 et 1908, Louis Rohard-Courtin – ainsi qu’il se fait parfois appeler – est élu maire d’Arras le 19 mai 1912, place qu’il occupera jusqu’en 1919.

Malade au début de la guerre, il se fait remplacer par son adjoint Gustave Baggio. Une fois rétabli, il demeure fidèle au poste, ne quittant brièvement la ville qu’entre mars et avril 1918. Pour cet acte de courage, il est fait commandeur de l’ordre de l’Empire britannique.

Pour la même raison, il est nommé ce 4 mai 1916 chevalier de la Légion d’honneur par le ministre de l’Intérieur Louis Malvy, en présence de nombreux dignitaires dont le ministre des Finances Alexandre Ribot.

Délégué cantonal, Louis Rohard-Courtin s’implique également dans de nombreuses sociétés arrageoises : membre des conseils d’administration de la Caisse d’épargne, de l’école normale d’instituteurs et de la prison d’Arras, mais aussi secrétaire puis président de la fédération des sociétés de secours mutuels du Pas-de-Calais.

Il décède dans sa ville d’adoption le 11 avril 1922.

Remise de la croix de la Légion d’honneur à M. Rohard, maire d’Arras 

Une cérémonie très émouvante dont nous n’avions parlé que sommairement s’est déroulée avant-hier à Arras dans le grand hall de la Préfecture, pendant que les canons se répondaient :

Devant les représentants des autorités militaires anglaises et françaises, les fonctionnaires des diverses administrations publiques, en présence de plus de cent cinquante personnes que la mitraille n’a pu arracher à la cité qu’elles aiment, M. Ribot, Ministre des Finances et M. Malvy, Ministre de l’Intérieur, accompagnés de MM. Jonnart, Président, et Guyot, Vice-Président du Conseil Général, ont remis à M. Rohart, Maire de la Ville, la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur.

Le Préfet, M. Briens a salué avec émotion MM. les Ministres à leur arrivée dans cette maison où il n’est plus hélas, a-t-il dit, qu’un hôte de passage, ̶ dans cette maison qui lui est doublement chère, par les satisfactions que lui a procurées naguère l’administration d’un grand département, par les souffrances publiques et privées que, durant de longs mois, il s’est efforcé d’y apaiser, ̶ dans cette maison devenue, au lendemain de l’incendie de l’hôtel de ville, le refuge de la vie communale, de la pensée libre et fière d’une population vaillante entre toutes ; il a rendu hommage au tranquille courage, à l’admirable tenue morale des Arrageois, tous des héros, qui synthétisent notre bel Artois, patriotes indomptables, vigoureux de corps et d’esprit, dont les enfants se mettront résolument à l’œuvre pour faire sortir de nouvelles cités, de nouvelles richesses des cendres amoncelées par la barbarie allemande, dès que, demain, résonneront les fanfares de la victoire, que le drapeau libérateur flottera sur la région dévastée.

Il s’est fait l’interprète de ses administrés pour remercier MM. les Ministres du haut témoignage de réconfortante sympathie qu’ils leur ont apporté en venant remettre au premier Magistrat de leur ville, glorieusement mutilée, l’insigne suprême de l’honneur.

Avec cette merveilleuse éloquence qui lui est familière, ce charme enveloppant qui se dégage de sa parole, M. Ribot a dit combien il était reconnaissant à M. le Ministre de l’Intérieur de lui avoir confié la mission d’exprimer au Maire de la ville martyre l’admiration que sa belle conduite a soulevée dans la France entière.

Il a exalté l’héroïsme de la population demeurée fidèlement au milieu de ses ruines et qui attend, avec une résignation sublime l’heure des réparations ; puis, aux applaudissements de toute l’assemblée impressionnée jusqu’aux larmes, il a épinglé sur la poitrine de M. Rohard, à qui il a donné l’accolade, la croix de la Légion d’honneur.

M. Malvy et M. Jonnart ont, à leur tour, chaleureusement félicité M. le Maire d’Arras qui, très ému, a remercié le gouvernement de la République de l’honneur qui lui est fait et qu’il reporte à ses chers concitoyens dont il a tenu, par devoir et par affection, à partager les souffrances comme il en partage tous les espoirs.

La France du Nord, dimanche 7 mai 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/94.

Le maire d’Arras - Deux ministres 

Il y a trois semaines, parlant à Paris devant un auditoire de réfugiés artésiens, j’appelais de mes vœux le jour où la France poserait sur la poitrine du Maire d’Arras la croix des braves.

Ce jour est arrivé : M. Rohard est décoré.
Ce fut simple, familial et touchant.

Trois semaines auparavant, M. Rohard était incidemment prévenu que M. Ribot allait demander pour lui une distinction au Conseil des ministres.

Déjà, sur l’initiative de M. Wavelet, notre distingué concitoyen, des pétitions s’étaient couvertes de signatures ; mais à celui de nos députés qui les lui présentaient, M. Malvy s’était borné à répondre :

"Non, pas de précédent ! Le Gouvernement ne décorera pas de civils pendant la guerre."

[censure]

Mais M. Ribot est un puissant avocat.
Jeudi matin, M. Gerbore arrive chez M. Rohard, joyeux et affairé :

"MM. Ribot et Malvy viennent cet après-midi pour vous décorer."

En hâte commença la toilette de la préfecture ; maintes fois touchée, elle tient encore ; çà et là gisait un peu de platras, restes des derniers obus ; le hall au ciel éventré prit l’aspect d’un jour de fête ; les autorités administratives et militaires conférèrent longuement ; et les ministres arrivèrent.

M. le Préfet leur souhaita la bienvenue tandis que les Allemands, dans la même intention sans doute, envoyaient quelques projectiles sur la ville.

Alors M. Ribot prit la parole ; le vénérable vieillard, très simplement, félicite Arras et son maire, puis épingle la croix aux applaudissements de l’assistance.

Le chien de M. Rohard, comprenant sans doute que son maître était à l’honneur, avait pris place à ses côtés ; et tandis que parlait M. Ribot, le bon maire d’un geste uniforme tentait de le repousser en arrière.
Peine perdue ; et ce simple détail montre bien l’intimité de cette heure familiale ; sans apparat et sans pompe, la cérémonie s’acheva sur les remerciements de M. le Maire qui ne pouvait retenir ses larmes.

Les ministres parcoururent quelques rues de la ville, les quartiers ruinés, la place de la Vacquerie, la Petite Place ; ils saluèrent les restes du beffroi et de la cathédrale, s’arrêtèrent pour contempler les vols d’avions parmi les flocons de shrapnells, puis visitèrent [censure].

Les immenses bâtiments, si tristement vivants, les premiers mois de la guerre, sont maintenant presque vides ; dans une cave, quelques civils, victimes de la Kultur, y guérissent leurs plaies grâce aux soins de M. Latour.

M. Ribot, fatigué, s’assit un instant ; M. Malvy descendit visiter les blessés ; puis le cortège quitta [censure].

Il n’avait pas vu, car, toujours modestes sous la cornette blanche, elles cachaient au fond de l’arrière-cour leur humble labeur quotidien, les sœurs qui depuis les premiers jours de la guerre vivent dans l’hôpital condamné. Les rangs des Augustines se sont clairsemés ; les unes, suivant leurs orphelins, leurs malades, leurs vieillards, sont allées sur tous les points de la France quêter l’aumône d’un asile ; d’autres, appelées par l’obéissance, ont porté dans d’autres hôpitaux l’or de leur charité ; quatre d’entre elles sont tombées à Arras au champ d’honneur ; mais celles-ci sont demeurées pour soigner les derniers blessés et garder les débris du patrimoine des pauvres ; car dans l’Arras ressuscité nous aurons encore des pauvres parmi nous.

M. le Préfet a voulu que la visite de nos ministres s’achève à [censure] ; de cette pensée délicate, la ville lui saura gré ; l’Arras civil dans le beffroi, l’Arras chrétien dans la cathédrale, l’Arras souffrant dans [censure] ont mérité la haine et les coups des Barbares ; il était juste que tous trois reçussent l’hommage et le salut de nos ministres.

GABRIEL AYMÉ.

Le Lion d’Arras, lundi 15 mai 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/02 (voir le numéro numérisé en suivant ce lien).

  • Le 3 mai 2016 à 00h
Portrait de profil d'un homme en médaillon, entouré de quatre autres petits médaillons représentant les ruines d'Arras. On lit "Arras, 1914-1916".

M. Rohard, maire d'Arras, qui va présider à Boulogne une séance du Conseil municipal d'Arras. "Le Lion d’Arras", mardi 25 juillet 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.

Pour aller plus loin

Dossier de légion d’honneur de Louis Rohard dans la base Léonore