Le 6 décembre 1917 : le congrès des mineurs

Aquarelle couleur montrant un chevalet de mines au fond d'un champ, sous un ciel gris.

Fouquières-les-Lens. Kohlenzechen = [Fouquières-lès-Lens. Houillières]. Aquarelle de Max Gehlsen, 17 novembre 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, 47 Fi 30/1.

Le 1er juillet 1914 entrait en application la loi de la journée de 8 heures dans les mines. Fruit d’une longue lutte syndicale et politique, cette disposition est cependant reportée à la suite de la déclaration de guerre. Avec la mobilisation, il faut en effet compenser le déficit de main-d’œuvre et donc allonger les journées de travail. 

Le 15 mars 1915, une nouvelle loi autorise un dépassement du temps de travail d’une heure et demie par jour. Ainsi fixée à 9 h 30 pour cette année, elle atteint même 10 heures lors de l’hiver 1916-1917.

Le 10 septembre 1916, le congrès des mineurs se déroule à Bruay-en-Artois, sous la présidence du député Henri Cadot, également président du syndicat local. Après un exposé sur la crise du charbon et la nécessité d’augmenter la production pour faire face aux besoins de la guerre, les congressistes consentent aux sacrifices demandés, notamment en termes d’allongement de la durée de travail. En revanche, ils demandent en contrepartie que soient mises en application des mesures visant à ramener du front le plus grand nombre possible de mineurs et d’anciens mineurs, de manière à programmer deux coupes de charbon par vingt-quatre heures et un salaire proportionné au sacrifice.

Une résolution identique est votée au congrès extraordinaire du syndicat des mines Nord et Pas-de-Calais le 25 octobre 1917 à Bruay. N’ignorant pas les conditions de vie difficiles endurées par les mineurs, le député-maire Émile Basly souligne la volonté de ces derniers de se placer au-dessus de leurs revendications, aussi légitimes soient-elles, et leur souci d’apporter leur quote-part à l’œuvre de défense nationale.

Pourtant, la colère gronde face aux difficultés quotidiennes qui s’accumulent. Soucieux de préserver le rendement de cette main-d’œuvre essentielle, le gouvernement accorde certains assouplissements aux travailleurs des mines et à leurs familles : quotas de rationnement gonflés, facilités de déplacement, etc. L’augmentation de salaire de 10 % décidée par les autorités compense cependant mal le renchérissement de la vie et est donc remplacée par une indemnité de vie chère de 1,25 franc par mineur, avec adaptation de 1 franc pour les femmes et les jeunes enfants de moins de seize ans, et 0,25 franc par enfant à charge. Malgré ces assouplissements, les exigences des mineurs deviennent plus insistantes, si bien qu’une commission consultative des mines voit le jour à la fin de l’année 1917.

En février 1918, une délégation reçue à Paris réclame une nouvelle augmentation. Celle-ci leur est accordée en mars 1918, à raison de 1,50 franc par jour, au titre d’indemnité de vie chère, et de 1 franc de plus-value sur le salaire.

La fin de la guerre n’améliore cependant guère les conditions de travail des mineurs. Bien que la loi Durafour limitant les journées de travail à 8 heures soit votée le 23 avril 1919, le gouvernement et le Sénat retardent sa promulgation. Le retour des soldats mobilisés qui raréfie le marché du travail et les conditions de vie toujours plus difficiles font exploser le mécontentement populaire qui se traduit par une série de grèves en juin 1919.

Le congrès des mineurs

Le relèvement des salaires

Le congrès des mineurs a enregistré avec satisfaction la création, par le ministre de l’Armement, d’une commission consultative des mines, au sein de laquelle l’élément ouvrier sera représenté par trois délégués de la fédération nationale des travailleurs du sous-sol et deux membres des syndicats ouvriers du Pas-de-Calais.

En créant cette commission, qui sera chargée de prendre toutes décisions utiles sur toutes les questions concernant l’exploitation minière, le ministre a tenu à prouver tout l’intérêt qu’il porte à la solution de cet important problème. En faisant appel, parmi les membres de cette commission, aux délégués ouvriers, il a voulu que, dans toute discussion concernant la question minière, les intérêts de chacun puissent être défendus.

Continuant l’étude de leur ordre du jour, les congressistes ont terminé la mise au point de la question du relèvement des salaires dans la mine.

Le taux de l’augmentation qui sera demandée a été basé sur les résultats d’une enquête effectuée par la fédération dans toutes les régions de la France et dans diverses corporations.

Le rapport justifiant cette demande de relèvement des salaires conclura en proposant que ce relèvement soit effectué sous la forme d’une nouvelle indemnité de cherté de vie venant s’ajouter aux salaires acquis et assimilable, pour les retraites et les accidents du travail, à un salaire fixe.

Deux questions de l’ordre du jour restent encore à étudier et à mettre au point : la substitution dans les exploitations minières du contrôle civil au contrôle militaire et enfin la proposition d’application de la nouvelle méthode de travail dans les mines, dite des trois postes.

La discussion de ces questions et l’élaboration des rapports les concernant feront l’objet de la séance d’aujourd’hui.       

Au nom du congrès des mineurs, dont les travaux se poursuivent actuellement, M. Barthuel, secrétaire de la fédération des travailleurs du sous-sol, a sollicité du ministre de l’Armement une entrevue au cours de laquelle une délégation composée de congressistes devait lui soumettre les desiderata de l’ensemble des travailleurs de la mine.

M. Loucheur a aussitôt désigné un membre de son cabinet qu’il a chargé d’entendre, en son nom, la [dé]légation. Muni des documents et de tous les renseignements qui lui sont nécessaires, le représentant du ministre aura mission d’examiner les différentes questions qui lui seront soumises et d’en poursuivre l’étude de concert avec les commissaires compétents, afin d’en obtenir la solution à bref délai.

Le Télégramme, jeudi 6 décembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/28.

La main-d’œuvre dans les mines     

La situation qui existait dans les mines françaises entre les directions des Compagnies et leur personnel exploitant s’est dénouée d’une façon satisfaisante, la "Fédération nationale des Travailleurs du Sous-Sol" ayant accepté dans son congrès les propositions transactionnelles obtenues du Comité des Houillères par le ministre du Travail agissant en complet accord avec son collègue de l’Armement.

Depuis décembre dernier les pourparlers étaient engagés ; de nombreuses entrevues se succédèrent entre les ministres et les parties intéressées, directeurs d’exploitation et représentants des mineurs. Le gouvernement ne pouvait, en effet, rester indifférent devant une situation qui pouvait réagir sérieusement sur la production nationale de guerre.

Les membres du gouvernement faisaient valoir devant les directeurs et devant les ouvriers les raisons d’intérêt général qui exigeaient impérieusement qu’une transaction rapide intervînt tout en tenant compte de la nécessité de rétablir, dans les salaires mineurs, un équilibre, rompu du fait de l’accroissement continu du coût de la vie.

Les Compagnies houillères avaient offert une nouvelle indemnité de cherté de vie de 1 fr. 25 s’ajoutant à celle accordée déjà en 1917 ; les revendications des mineurs portaient sur une augmentation de salaire de 3 fr. par journée de travail. La proposition transactionnelle du gouvernement a accordé aux ouvriers des mines 1 fr. 50 d’indemnité de vie chère, plus 1 fr. par jour d’augmentation de salaire.

Un des délégués syndicaux qui suivirent de près les pourparlers engagés résume ainsi ses impressions :

"La situation du prolétariat de la mine est en tous points digne d’intérêt. L’effort produit par les ouvriers mineurs depuis la guerre a été reconnu par tous.
Les centres miniers de la France non envahie devant produire avec plus d’intensité pour remédier au déficit charbonnier, la main-d’œuvre minière disponible, du fait de l’occupation par l’ennemi des bassins houillers du Nord, a été dirigée sur les mines françaises des autres régions, du Centre notamment.
Un congestionnement s’est ainsi établi dans certaines exploitations où la population ouvrière abonde ; la conséquence directe a été un accroissement énorme du coût de la vie, une hausse exagérée des denrées de première nécessité, une hausse formidable du prix des loyers.
D’autre part, les mesures de restriction alimentaire ont atteint particulièrement les mineurs. Le travail intensif qu’ils doivent produire, leur temps de présence au fond de la mine, qui atteint sans interruption de 12 à 14 heures, le surmenage qui en résulte, ne leur permettant pas de réduire leur consommation de pain et les quantités prévues par le rationnement sont largement insuffisantes eu égard à l’effort physique déployé.
Ce sont ces conditions de travail et ce décalage entre le prix des choses et le salaire normal qui ont motivé les revendications des mineurs.
La solution gouvernementale leur est apparue satisfaisante ; mais quelques réserves ont été faites notamment en ce qui concerne l’application des conditions concédées au personnel des mines de fer, mines métalliques et ardoisières, car une difficulté subsiste à ce sujet.
Il a été décidé par les représentants du gouvernement que le régime actuel appliqué au personnel n’était que transitoire. Des promesses formelles ont été faites aux délégués des mineurs, concernant l’établissement rapide de bordereaux de salaires dans chaque région, ainsi qu’il a été procédé au Ministère de l’Armement pour la main-d’œuvre des usines de guerre ; ces bordereaux, établis par des commissions mixtes, composées de patrons et ouvriers sous la présidence de représentants du gouvernement, ne pourront, évidemment, être inférieurs aux salaires existants, augmentés des plus-values pour cherté de vie, primes, etc.
Les délégués de la Fédération des travailleurs du sous-sol n’ont pas seulement envisagé, au cours des entrevues, la nécessité d’augmenter le salaire des mineurs, mais leur préoccupation a été aussi d’indiquer les moyens pratiques d’aboutir à un meilleur rendement du travail dans les mines.
Ils ont insisté auprès du ministre pour qu’une application loyale soit faite de la division du travail en trois postes de 8 heures par jour, deux postes d’extraction, le troisième étant consacré aux réparations indispensables.
La nécessité d’extraire rapidement a fait négliger les travaux de boisage ; au bout de trois années de cette méthode de travail intensif, il est de toute urgence de remédier à la détérioration de la mine, au délabrement des galeries, qui ont amené une recrudescence des accidents du travail et une difficulté plus grande pour l’extraction, cela au détriment même de la production houillère.
La présence, au fond de la mine, d’un personnel d’extraction trop nombreux crée une gêne dans le travail, l’encombrement des galeries empêche l’enlevage rapide du combustible extrait, en un mot le rythme méthodique du travail est détruit ; avec la main-d’œuvre, qui peine davantage, la production s’en ressent et diminue. L’établissement du travail en trois postes permettra de remédier à cette situation au bénéfice des compagnies, aussi bien que du personnel, assurant un meilleur rendement des mines, une production activée du combustible nécessaire à l’industrie comme aux besoins familiaux". 

Le Télégramme, vendredi 1er mars 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/29.

  • Le 5 décembre 2017 à 00h