Le 28 mai 1918 : contre les routes en pierre de craie à Colembert

Photographie d'une route en pierre de craie blanche dans la région de Lens pendant la reconstruction.

[Guerre 1914-1918]. Une cité détruite et reconstituée [...] des mines de Lens, [1918-1929]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 45 Fi 97.

Face au développement de l'activité économique puis aux désordres nés du conflit, les pouvoirs publics n'ont d'autre choix que d'adapter les voies de communication à la forte augmentation du trafic des véhicules motorisés et de lutter contre leur détérioration grandissante, tout en se pliant aux contraintes financières. L'enjeu est en effet de mettre en place un entretien régulier, pour pallier les risques d'insalubrité que les dégradations entraînent pour les riverains.

C'est le cas à Colembert, commune située sur la route nationale de Boulogne-sur-Mer à Saint-Omer, axe stratégique et économique très fréquenté du Pas-de-Calais, où les habitants appellent au goudronnage systématique de la voirie en remplacement de la pierre de craie.

Aussi évidente qu'elle puisse paraître aux usagers, la substitution du revêtement goudronné ou bitumé aux empierrements traditionnels est bien plus complexe qu'il n’y paraît. L'adaptation des routes à l'essor de la circulation automobile amène l'apparition de nouvelles filières industrielles et l'émergence de nouveaux emplois. En aval, ces changements auront aussi des conséquences dans la géographie des transports.

La pierre de craie

On nous prie pour la salubrité publique.

Les habitants de Colembert dont les propriétés sont situées sur la route nationale de Boulogne à Saint-Omer ont inutilement réclamé par l'intermédiaire de l'autorité compétente depuis le mois de mai 1916 la suppression de l'emploi sur ladite route de la pierre de craie dite : marne, qui n'est autre qu'une véritable pierre à chaux qui, par suite du passage d'un grand nombre d'autos, provoque de 8 heures du matin à 9 heures du soir une poussière blanche épouvantable qui rend l'état de l'atmosphère insupportable, brûle et empoisonne tout à plus de 80 mètres de chaque côté de la route et devient un danger sérieux contre la salubrité publique.

Si l'administration des ponts et chaussées a le droit de nous empoisonner de plus en plus en rebouchant incessamment les trous de la route par cette matière empoisonnante, nous désirons le savoir pour de bon afin d'être bien fondés pour nos légitimes réclamations en dommages et intérêts. Pour empêcher cette poussière, cette intéressante administration a été mise en demeure de goudronner la route depuis l'entrée de Colembert jusque passé les maisons. Elle a trouvé très intelligent de procéder à ce travail en octobre dernier et naturellement l'exécution a été interrompue par suite de pluie, puis abandonnée. C'est bien cependant en mai, avant l'été, que l'on doit procéder à ce travail vu que nous sommes à l'époque des sécheresses.

Actuellement encore, juste à l'entrée de la commune, côté nord, depuis 200 mètres avant d'arriver à la première maison jusque passé également 200 mètres l'agglomération principale, un ouvrier travaille chaque jour avec cette matière sur ladite route, tandis qu'il pourrait préférablement se servir de graviers, de petites pierres cassées à sa disposition sans nuire ainsi à l'hygiène publique. Pour remédier à cet état de choses, nous demandons le goudronnage immédiat de ces endroits imprégnés de pierre blanche, de manière que les façades des maisons, jardins, vergers, prairies soient protégés. Si nous n'obtenons pas satisfaction à bref délai, nous présenterons à titre de représailles, par la voie des tribunaux, nos états collectifs de pertes subies pour 1916 et 1917, en attendant autre chose.

L'administration des ponts et chaussées a sans doute plus d'égards pour la santé des sangliers de la forêt que pour celle des habitants de Colembert, vu qu'elle a fait goudronner, et encore actuellement, la route nationale de Boulogne à Belle-et-Houllefort ? Tout en constatant cette préférence, nous sommes fatigués des promesses, aussi l'administration préfectorale est avisée de la situation.

Ce que nous désirons le plus, c'est que l'un des philosophes de cette administration des ponts et chaussées qui prétend que la pluie suffit à empêcher les dégâts de la poussière, soit désigné pour rester sur la route une journée à titre d'expert pour constater l'exactitude des faits signalés. S'il arrive vêtu de noir, il aura l'agrément de s'en retourner en meunier, cela lui apprendra, par expérience, que la pluie ne suffit pas toujours à éteindre la poussière qui, pénétrant incessamment dans les maisons, les jardins, vergers et prairies, empoisonne les herbes, gâche fruits, légumes, etc., et cause peut-être la perte de certains bestiaux qui ont mangé des herbes souillées.

Voilà M. de l'administration des ponts et chaussées ce qui résulte de votre travail.

En attendant le résultat de nos démarches, nous avons l'honneur de vous saluer.

Le comité de réclamations.

Le Télégramme, mardi 28 mai 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 9/30.

  • Le 28 mai 2018 à 08h30