Le 12 décembre 1914 : les tours du Mont-Saint-Éloi

"L'Artois avant et après la guerre. - Les tours du Mont-Saint-Éloi". À gauche : en 1914, à droite : en 1919. Archives départementales du Pas-de-Calais, 3 Fi 304.

Propriété de l’État et du Département depuis 1836, l’abbaye du Mont-Saint-Éloi est à la veille d’un classement comme monument historique lorsque la guerre éclate (avis favorable rendu le 24 juillet 1914 par la Commission des Monuments historiques).

La fixation du front, lors de la course à la mer, fait de ces tours un "poste d’observation de premier ordre", occupé et mis en défense par les troupes françaises dès le début d’octobre 1914, mais attirant en sens inverse aussitôt les salves d’artillerie allemandes.

Associé aux destructions patrimoniales majeures dues aux bombardements allemands (au premier chef, à celles du beffroi et de la cathédrale d’Arras), le site est dès lors emblématique pour les artistes mais aussi dans la propagande nationale (cartes postales, photographies des agences Rol et Meurin, du service photographique de l’armée, aquarelles publiées dans L’Illustration, etc.).

Devenues l’un des symboles de la barbarie allemande, les tours du Mont-Saint-Éloi entrent dès 1918-1919 dans les sites patrimoniaux proposés à la visite par le comité de tourisme d’Arras et des champs de bataille de l’Artois.

Pages d'Histoire : Propos d'Artois

Qui de nous n’a pas entendu parler des "Tours de Mont-Saint-Éloi" ? Quel voyageur, fût-il le plus insouciant, n’a jeté, en passant, sur cet amas architectural de pierres, un simple regard de curiosité ?

Bâties dans un endroit des plus pittoresques, elles dominaient et dominent encore notre belle région d’Arras.
J’ai dit… elles dominent encore, car l’esprit vandale et destructeur de nos barbares ennemis, a essayé de détruire et de réduire à néant, ces reliques des temps passés !
Et pourquoi ?... Je n’ai garde de vouloir ici rechercher le mobile qui poussa les "Boches" à passer, sur un bâtiment historique, leur mauvaise humeur et leur colère mal contenues de n’avoir pu atteindre Paris.

Qu’il nous suffise de savoir que, comme Paris, nos tours de Mont-Saint-Éloi sont restées debout. – Endommagées, il est vrai, mais toujours défiantes. Elles sont là, semblant jeter à la face de l’ennemi, terré un peu plus loin, le défi du célèbre Français de jadis qui, dans un moment des plus critiques s’écriait : "J’y suis, j’y reste !..."

Grâce à la complaisance de l’autorité militaire, j’ai pu les voir ces "Tours d’Artois", il y a une huitaine, d’un peu loin, il est vrai, mais je les ai vues !... Mon cœur battit bien fort dès que je les eus aperçues ! Que de souvenirs, en effet, ne rappellent-elles pas à ceux qui ont vécu près d’elle ?...
Plus heureuses que la Cathédrale de Reims, elles sont, je crois, réparables. Semblables en ce moment à des bougies "qui brûlent mal" elles sont là, attendant que le génie de l’homme vienne réparer leurs larges plaies et cicatriser leurs béantes blessures. Pierres et plâtras gisent au pied. La trace des souffrances s’effacera, mais les souvenirs du bombardement seront pieusement conservés.
Et, comme les cités les plus anciennes et les plus laborieuses, nos humbles tours auront leur blason glorieux, où sur le fond, brillera, je l’espère, la croix des braves !... Elles aussi furent à la peine, pourquoi ne seraient-elles pas à l’honneur ?...

… Le jour baissait, le bruit d‘un moteur, quelques coups de feu me rappelèrent à la réalité.

Un dernier regard à ces tours aimées, un ardent baiser envoyé dans l’espace à des êtres chéris et je repris ma route… heureux d’avoir vu, content d’avoir pensé !

J. Laurent (le 12 décembre 1914)

La France du Nord, mercredi 16 décembre 1914. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG16/91.

  • Le 11 décembre 2014 à 00h