Le 25 mai 1916 : un petit village où il fait bon vivre

Photographie noir et blanc montrant les ruines d'une église.

Wailly. Église en ruines, vue vers le clocher, 30 juin 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, 8 FiD 1141.

Loin du poncif des grandes villes martyres inlassablement brandies par la presse, l’article proposé ici met en avant le charme de Wailly, petit village du Pas-de-Calais (700 habitants en 1911). Situé au sud-ouest d’Arras près de la ligne de front, il constitue une base arrière idéale pour les troupes défendant Arras – notamment les troupes anglaises – ce qui explique probablement l’acharnement de l’armée ennemie à le pilonner.

Après sa poignante "Mort de la cathédrale", P. Dumas nous livre ici une délicate description, aux teintes bucoliques et champêtres. Sous sa plume, la campagne se pare de ses plus beaux atours : le cours d’eau poissonneux et rafraîchissant, l’auberge du village au gentil nom évocateur de "Joyeux Pinsons", les plaines vertes et rieuses, etc.
La mise en scène d’objets simples du quotidien, comme le piano ou le cresson, parfait ce tableau dans l’esprit du lecteur et le hisse au rang d’éden.

On en oublierait presque un instant que cette image d’Épinal a été pulvérisée par les "schrapnels" allemands. La petite église de village a connu le même sort que le prestigieux beffroi d’Arras. Le journaliste termine son article avec l’évocation de la mort, peut-être parce qu’il a assisté à l’ouverture du Wailly Orchard Cemetery, inauguré en mai 1916 par le 55th division (West Lancashire). Considérablement agrandi par les Canadiens et d’autres unités du front de la 3e armée, il contient aujourd’hui 370 tombes, toujours entourées de riants pâturages.

Wailly

Blotti dans ses arbres au pied des collines qui l’abritent des vents, avec ses grandes fermes aux cours entourées de murs, ses gras pâturages arrosés par le Crinchon, c’est le village calme et paisible où chacun de nous aimerait à finir ses jours dans la douceur d’une nature apaisante. Tout ici est riant, même les enseignes des cabarets. Sur la petite place, la plus grande de l’endroit, j’imagine que le cabaret des "Joyeux Pinsons" devait être, l’après-midi du dimanche, un charmant rendez-vous.

La guerre, hélas ! est venue et pas plus que les autres villages de l’Artois, Wailly n’a été épargné. Son clocher qu’on voit depuis les lignes servit d’excellent point de mire. Sans but stratégique, puisque de la crête qui se trouve à 500 mètres en arrière, on peut observer beaucoup mieux que du haut du clocher, les boches l’ont descendu ! Il en reste un arceau sur lequel ils se sont longtemps et inutilement acharnés.

L’église vaste et coquette a été trouée de part en part et la voûte n’existe plus ; le maître-autel a été soulevé et renversé par une explosion ; l’eau a ruisselé le long des murs et fait déjà de l’église une ruine ; les vitraux ont été criblés de schrapnells et de balles ; les béatitudes encore visibles y prennent un sens insoupçonné pour l’artiste qui les écrivit sur le verre : Bienheureux les pacifiques… Bienheureux les pauvres d’esprit… ils possèderont la terre…

Au fond du sanctuaire, de l’autre côté du mur, une croix marque la place où dort son dernier sommeil un dragon tué là en septembre 1914 et qui, au seuil de la maison de paix, monte la garde.

L’église n’a pas été seule à souffrir de la guerre. Le petit pont sur le Crinchon entouré de trous d’obus offre un effet bizarre.

Le cabaret des "Joyeux Pinsons" a maintes fois servi de chapelle et d’abri aux promeneurs surpris par les rafales d’artillerie ; le piano automatique lui-même qui fut si longtemps la distraction des poilus, est tombé au champ d’honneur criblé de balles.

[supprimé par la censure]

Pour le soldat, Wailly c’est la campagne avec tous ses charmes et ses avantages ; le gibier très abondant, le poisson et le cresson du Crinchon augmentent agréablement l’ordinaire et sont une distraction pendant les heures de repos. Wailly, c’est la bonne cave à l’abri des marmites, ce fut longtemps le secteur tranquille ; c’est le pays de cocagne, la vie à bon compte. C’est le village de l’Artois où en temps de paix il doit être bon de vivre ; la campagne près de la ville.

C’est en un mot, un de ces coins qui ne sont pas faits pour la guerre et qui, malgré les atrocités dont ils auront été les témoins, se relèveront, mais sans oublier, parce que dans les jardins et dans les prairies, de petites croix resteront pour marquer l’endroit où sont tombés des héros ; sur ces croix avec les noms des morts on lira les dates de 1914, 1915, 1916, fatales pour les villages d’Artois, glorieuses pour la France, point de départ du renouveau qui fera sur ces ruines naître une cité nouvelle.

P. DUMAS

Le Lion d’Arras, jeudi 25 mai 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.

  • Le 24 mai 2016 à 00h