Le 13 janvier 1916 : Wingles pendant l'occupation

Le curé de Wingles livre dans les colonnes de La Croix un témoignage des habitants concernant l’occupation de leur commune par les soldats allemands le 9 octobre 1914.

Il relate les incidents endurés dès les premiers jours de l’invasion jusqu’aux bombardements de septembre 1915, canonnades qui pousseront la population à l’exil vers Marchiennes et Cambrai.

L’œuvre de destruction semble se poursuivre et rien sans doute ne restera de ce que fut Wingles : un centre de travail et d’industrie très actif du Pas-de-Calais.

Wingles pendant l'occupation : récit de M. le curé

Le régime de la terreur

Les Allemands sont arrivés à Wingles dans la nuit du 9 octobre 1914. Leur premier souci fut d’arrêter et d’emmener tous les hommes, y compris les vieillards de 75 à 80 ans. C’est ainsi que mon père et ses compagnons de captivité furent enlevés de force et conduits sous bonne escorte jusqu’à Douai. Là, après un examen sommaire, on envoya en Allemagne ceux qui pouvaient rendre encore quelque service, les autres furent laissés libres.

Cette première captivité ne dura que six jours. Elle avait pour but d’effrayer les hommes, car ils furent avertis qu’au premier signe de révolte, ils seraient tous fusillés. En réalité, les menottes, l’eau et le pain sec, les longues marches à pied, furent les seules souffrances… C’était déjà beaucoup pour des infirmes et des vieillards…

Le siège des caves

La grande préoccupation des Allemands fut ensuite de vider les caves. L’opération fut faite avec beaucoup de soin et pendant plusieurs jours ce ne furent que libations et orgies. Les soldats roulaient lamentablement dans les maisons, dans les pâtures et sur la voie publique

Les Allemands collectionneurs

Quand ils furent remis de leur ivresse, ces messieurs visitèrent à nouveau les maisons, prenant tout ce qui leur plaisait : services en argent, étain, bibelots, tableaux, antiquités. À ceux qui protestaient, ils offraient de l’argent ou disaient simplement : "Souvenir de guerre". Des caisses entières prirent ainsi la direction de l’Allemagne.

Le culte à Wingles

Le culte n’a jamais cessé d’être célébré. Monsieur l’abbé Avrillon disait la messe à 7 heures pour la population civile. Puis un aumônier, religieux capucin portant la bure, célébrait les offices pour les soldats catholiques. De temps en temps, un pasteur venait de Meurchin donner le prêche à ses correligionnaires. Pendant la messe de l’aumônier catholique, on faisait de la musique, on prêchait, et il n’était pas rare de voir des soldats s’approcher de la Sainte Table. Les cloches de Wingles sonnaient comme autrefois, mais pas seulement pour les offices. Souvent, on leur faisait chanter les victoires – vraies ou fausses – des armées allemandes sur les Russes et les Français.

[texte censuré]

Calme de la population

À part deux ou trois exceptions, la population fut digne et calme. Les femmes lavaient le linge des soldats et leur travail était rétribué ; les enfants allaient à l’école.

Pas d’atrocités à signaler.

Une seule fois, une dame vénérable subit les outrages d’un insolent ; celui-ci eut été… sur le champ sans l’intervention de la malheureuse femme. Un docteur allemand qui logeait au presbytère, visitait les malades – gratuitement – et ne craignait pas de se lever la nuit quand on l’appelait.

Telle fut la vie à Wingles du 9 octobre 1914 au 15 septembre 1915. À cette date, commença le bombardement de la cité. Les obus tombaient jour et nuit. La vie devenait impossible, la population fut évacuée vers M[a]rchiennes et Cambrai le 30 du même mois. L’église, alors, n’avait encore reçu qu’un obus, mais la fosse était détruite, la métallurgie sérieusement endommagée et les maisons particulièrement ruinées par centaines.

L’œuvre de destruction continue et rien sans doute ne restera de ce qui fut hier un centre de travail et d’industrie.

La Croix, jeudi 13 janvier 1916. Archives départementales du Pas-de-Calais, PE 135/18.

Un autre témoignage sur l'occupation de la commune est conservé aux archives départementales. Celui-ci provient de la déposition d'un civil, Louis Herreng, qui livre à son tour ses souvenirs. Le bord du document ayant été arraché, nous avons reproduit cette perte par les passages entre crochets.

Il est intéressant de comparer ces deux visions, très subjectives et fort différentes l'une de l'autre. Car il n'était pas rare qu'en ces temps troublés, les comportements changent et que certaines personnalités apparaissent sous un jour nouveau. C'est ainsi que certains se sont brillamment illustrés dans la résistance tandis que d'autres ont fait montre d'une veulerie sans égal. Certains en ont également profité pour régler leurs comptes à l'armistice, en dénonçant, avec raison ou non, leurs compatriotes pour collaboration avec l'ennemi.

Réoccupation du territoire encore occupé par l’ennemi. Détails sur la vie journalière

Renseignements fournis par HERRENG Louis. Commune de Wingles

  1. M. Cartini est parti à l’approche des Allemands.
     Pour le remplacer les Allemands à leur arrivée ont rassemblé tous les civils à la mairie et ont fait reconnaître comme maire le vicaire desservant la paroisse (le curé s’était enfui).
  2. Pas de conseillers municipaux demeurer à leur poste.
  3. Un appelé Georges, boiteux, a été nommé garde-champêtre. […] voyageait pour les Allemands et les civils, publiait les ordres, et […] n’inspirait aucune confiance à la population. Homme sans probité. […]
  4. Le vicaire et Mme Marquilly, sage-femme, paraissaient en tr[ès …] bons termes avec l’ennemi.
  5. Ravitaillement : Le vicaire maire s’occupait du ravitaillem[ent …] et le faisait dans de mauvaises conditions. Il faisait délivrer au […] boulanger de la mauvaise farine, le pain n’était pas mangeable. Le […] garde et le vicaire mangeaient du bon pain blanc venant de Meurchin. Mme Marquilly s’occupait aussi du ravitaillement. Elle voyageait très […] souvent avec les Allemands qui lui prétaient chevaux et voitures pour se rendre à Lille chercher des marchandises qu’elle revendait très cher aux civils. Elle vivait en très bons termes avec le vicaire qui lui faisait exécuter par les civils des améliorations à sa maison avec [du] bois volé dans la commune par un charpentier qu’il employait.
  6. Les civils ont été employés à différents travaux obligatoires par les Allemands et gratuitement mais la dernière semaine le vicaire à payé 0 fr. 75 par jour.

Rapport de l’adjoint au maire d’Estrée-Cauchy, d’après le témoignage de Louis Herreng, sur l'occupation de Wingles, 30 mars 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, 11 R 857.

  • Le 12 janvier 2016 à 00h
Photographie noir et blanc montrant une usine partiellement détruite.

"[Guerre 1914-1918]. Wingles. Usine métallurgique de Pont-à-Vendin. Hauts-fournaux détruits". Archives départementales du Pas-de-Calais, 45 Fi 74.

Pour aller plus loin

Mémoire de guerre de Clément-Léon Vryghem (6 pages dactyl.), 1914-1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 1590.