Parution du premier numéro de La Voix du Nord

Le journal La Voix du Nord paraît pour la première fois de manière clandestine dès le mois d’avril 1941 : il est l’organe du réseau de résistance et d’évasion Voix du Nord, fondé par Jules Noutour, policier syndicaliste et membre de la SFIO, et par Natalis Dumez, catholique, ancien maire de Bailleul.

Les cinq feuillets dactylographiés du premier numéro, qui ressemble plus à un tract qu’à un véritable journal, ont pour titre "Sans Équivoque" et un en-tête "Lisez-recopiez-diffusez". La rédaction et l’impression des premiers exemplaires se font au domicile de Natalis Dumez, 3, rue Castiglione à Lille. Jules Noutour en est le principal artisan et se charge de sa diffusion jusqu’en 1943.

La Voix du Nord dénonce les crimes nazis, la collaboration, affirme son soutien au général de Gaulle et surtout appelle à la résistance. Rapidement, le tirage passe de 65 exemplaires pour le premier numéro, à plusieurs milliers. À partir de 1942, la police française et la Gestapo cherchent à mettre un terme à sa parution. Les rédacteurs et les diffuseurs appelés les propagandistes sont traqués. Distribuer ou même détenir un exemplaire de La Voix du Nord, c’est prendre un très grand risque et plusieurs centaines de membres de ce réseau, qui est avant tout une organisation de résistance, sont morts déportés ou fusillés. Natalis Dumez, arrêté en septembre 1942 est libéré des camps allemands en 1945 et Jules Noutour, pris à son tour par la Gestapo en 1943, meurt en déportation au camp de Gross-Rosen en février 1945.

Le journal La Voix du Nord paraît pour la première fois de manière officielle sous la direction de Jules Houcke le 5 septembre 1944, sous le titre "La région du Nord est libre". Il s’installe dans les locaux du Grand Écho du Nord sur la Grand’Place de Lille et devient un quotidien régional.

14 de La Voix du Nord du 20 septembre 1941

Article dactylographié sur un format A4.

N° 14 de La Voix du Nord, 20 septembre 1941. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 Z 683.

LIBERTÉ-ÉGALITÉ-FRATERNITÉ

"LA VOIX DU NORD"
14, 20 Septembre 1941

ORGANE DE LA RÉSISTANCE DE LA FLANDRE FRANÇAISE

VERS L’AVENIR

À l’exception des quelques hommes qui ont lié leur sort à celui de
l’ennemi et qui l’accompagneront dans la défaite et dans le châtiment
tous les français sont unanimes pour attendre avec confiance la libération
de notre pays.
Déjà les événements actuels, la résistance de l’armée russe, la volonté
farouche de la Grande-Bretagne et le concours sans réserves des États-Unis
permettent d’entrevoir l’heure de la victoire ; les armées allemandes
s’épuisent à une cadence accélérée et cette guerre de matériel se transforme
en guerre d’hommes dont les pertes saisissent d’horreur tout le peuple allemand.
Hitler voudrait continuer à se battre avec les poitrines des Italiens,
des Roumains, des Hongrois, des Finlandais, il veut trouver des mercenaires
en Belgique, en Hollande, en France ; il compte refaire l’armée cosmopolite
de Napoléon, mais il oublie que les défections en ont précipité la chute.

L’Allemagne criera "Victoire" jusqu’au dernier jour et le lendemain
tout s’effondrera dans l’anarchie, dans le soulèvement de tous les peuples
opprimés et dans la ruée irrésistible des armées alliées vers Berlin.
Brusquement, la France se retrouvera, libre dans ses destinées, devant
des problèmes angoissants de ravitaillement, de réorganisation industrielle,
de redressement financier et d’apurement monétaire, dans la nécessité
de se refaire une âme, épurée des traîtres, et de rebâtir un organisme
une administration, une vie politique et économique qui répondent également
à son tempérament propre, à son idéal de liberté et aussi aux exigences
de rénovation et de reconstruction nationales.
Après 4 années de guerre, la victoire de 1918 a surpris les Alliés
dans une impréparation complète de la paix et cette imprévoyance nous
a valu de perdre les bénéfices de la Victoire.
N’apparaît-il pas d’ailleurs que Hitler, dans sa folie sanguinaire
dans son sadisme de destruction et de ruines, ait multiplié les plus tortueuses
machinations pour entraîner dans un abîme de misères tous les
peuples qui auront échappé à son asservissement.
Les ruines matérielles, la désorganisation économique, le bouleversement
de toute la vie industrielle de la France sont moins graves que le désarroi
dans lequel vont se trouver les esprits, l’incertitude qui envahira
tous les cœurs, l’écoeurement et le dégoût devant tant de lâchetés
et de trahisons.
Il faudra réviser bien des idées préconçues, que d’hommes qui paraissaient
des guides sûrs seront descendus de leur piédestal ! Et beaucoup
se diront : "En qui avoir confiance maintenant ? Qui nous sauver de ces
mille difficultés qui nous assaillent ?" Comment, Français, pourrons-nous
nous refaire une "âme commune" à hauteur de l’œuvre qui nous attend.
Certes, il serait vain de nier la gravité [la gravité] des problèmes
il vaut pieux au contraire les regarder bien en face ; il y aura des
solutions immédiates à prendre pour que notre France soit assise sur une
base solide qui permett[r]e d’entreprendre les grandes tâches de demain.
Lorsque vous posez cette question de savoir en qui vous mettrez
votre confiance, nous répondons sans hésiter : "En vous-même".
N’oubliez-pas quels ont été les engagements pris par le Général de
Gaulle, il a assumé la charge de réunir toutes les énergies françaises
il s’est fait le gardien de notre idéal et de l’honneur du pays ; il a
accepté d’être le dépositaire de tout notre trésor moral et spirituel.
Grâce à lui, les traditions d’honneur et de loyauté de la
France n’auront subi aucune interruption, et sous sa direction, les
forces françaises libres auront contribué à la victoire.

Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 Z 683.