L’affaire Dauchez

Œuvre de fiction produite dans le cadre de l'option Littérature et société

En ce jour du 18 juin 1794, moi, Pierre Dauchez, âgé de seulement 22 ans, me trouvais dans ce tribunal face à tous ces révolutionnaires criant des insultes à mon encontre. Et je pensais aux raisons de ma présence ici, réfléchissant à mes fautes et mes mensonges. Je méditais sur ce jour, celui où j’ai entraîné les membres de ma famille dans cet enfer.

Tout avait commencé quelques mois plus tôt, le 3 avril précisément. Je préparais mes affaires dans un silence total… la peur et l’angoisse m’envahissaient à l’idée de devoir faire le service militaire. Je ne devais prendre que peu d’affaires : là où j’allais, le confort n’avait pas d’importance. Je fermai ma valise, pris mon manteau et dis chaleureusement au revoir à toute ma famille, puis partis les larmes aux yeux et le cœur lourd.

Sur le chemin, j’échafaudais des plans plus absurdes les uns que les autres pour m’éviter de vivre cet enfer. J’y étais presque, je voyais tous ces hommes au loin. D’ici, je percevais la peine que l’on pouvait lire sur leur visage. C’en était trop pour moi ! Sans perdre le temps de réfléchir aux conséquences qu’auraient mes actes, je fis demi tour et courus aussi vite que mes jambes me le permettaient.

Je me mis à errer, perdu au milieu des champs. Je ne savais que faire. Je ne pouvais pas rentrer chez moi : qu’allait penser ma famille ? Et si mes voisins l’apprenaient ? Je me ferais guillotiner ! Je me résolus à dormir dans une grange pour prendre le temps de méditer. La nuit fut brève et agitée. Ce n’est que le lendemain matin, en me réveillant, qu’une idée me vint. C’était sûrement une folie, mais à cet instant, c’était ma seule option.

Je me remis en route, ne pensant qu’à mon projet. J’atteignis ma demeure à la nuit tombée. Personne dans le bourg ne m’avait vu. Quand mes parents m’aperçurent, ils furent à la fois heureux et affolés à l’idée de me voir revenir : ils avaient bien sûr tout de suite compris que je désertai et ils craignaient pour leur vie et pour la mienne. Je leur expliquai alors le plan que j’avais échafaudé. L’idée était de me faire passer pour malade et de me faire rester à la maison. Mes parents acceptèrent.

Plus de trois semaines passèrent sans que l’ombre d’un problème ne nous atteigne. Une aisance s’était installée ; oubliant toute prudence, j’osai sortir de chez moi. Comme on peut aisément l’imaginer, c’est à ce moment-là que les ennuis ont sérieusement commencé : les voisins se demandaient pourquoi je n’allais pas faire mon service militaire si j’allais mieux. De sérieuses rumeurs couraient alors dans le bourg, certaines personnes commençaient à comprendre. Par peur que la vérité éclate et pour les calmer, mon père, ne sachant que faire, sur un coup de tête, me fit passer pour mort.

Les conséquences furent immédiates : les voisins, honteux de leur ragot et peinés, vinrent alors rendre visite les uns après les autres à ma famille. Plusieurs fois par jour, je devais faire semblant d’être mort et ne pas bouger. Je m’allongeais sur mon lit de mort et j’entendais tous les avis que mes voisins exprimaient sur les événements qui venaient de se produire. Au début, je me prenais au jeu, et j’étais même assez fier d’avoir réussi à faire croire à tous de telles absurdités. J’aurais voulu que cela continue ! Mais la tristesse me rattrapa vite car, malheureusement, je ne pouvais plus quitter ma chambre de peur que quelqu’un ne me découvre. Les jours passaient, et je me sentais perdu entre ces quatre murs… je me consolai en pensant que je préférais même cela à l’armée !

Cependant, trois, quatre ou cinq jours plus tard (ma condition de détenu ne me permettait pas de me souvenir exactement) lors d’un repas de famille, alors que la boisson leur avait fait perdre la tête, mes parents, tels des furies, sortirent de la maison en clamant haut et fort des absurdités. Une seule a retenu mon attention et c’est en partie à cause de celle-ci que je suis ici. Ils avaient alerté les voisins que j’avais soi-disant ressuscité ! Je n’en croyais pas mes oreilles. De tous les mensonges que nous avions pu exprimer ma famille et moi, c’était celui de trop, celui auquel personne n’allait souscrire, avais-je pensé aussitôt. Et en disant ces mots, je ressentis un pressentiment. Je dus donc à nouveau jouer un rôle : nous avions mis en place, dès le lendemain matin, dans la grange, de nombreux cierges, et tout autres choses qui pourraient faire croire à nos voisins à un quelconque événement religieux. J’étais vêtu d’un long drap blanc, les yeux clos et je récitai des prières. Je dois avouer que je pris un grand plaisir à jouer mon rôle devant toutes ces personnes ; certaines d’ailleurs avaient des réactions très amusantes ! Tous me prenaient pour un saint. Toutes les familles crurent à cette comédie, toutes sauf une ! Au début cela ne nous avait point fait peur, car aucune rumeur ne circulait, comme si rien ne pouvait atteindre ma famille.

Mais quelques semaines plus tard, le 16 juin précisément, des gardes vinrent frapper à notre porte. Sans aucune explication et avec une méchanceté innommable, ils nous emmenèrent loin de chez nous. Ma famille et moi avions bien sûr compris tout de suite le pourquoi de cette arrestation.

Après plusieurs heures de marche, on nous fit entrer dans un bâtiment où l’on releva notre identité. Un garde nous emmena dans un cachot en nous expliquant brièvement les évènements à venir. Dans deux jours, un juge écouterait nos témoignages ; il ajouta avec un rire quelque peu dérangeant au vu des circonstances, que nous serions sûrement guillotinés !

En repensant à toute cette histoire, je me mis à sangloter. Puis vint l’heure des dépositions. Chaque membre de ma famille témoigna, et chacun avaient exposé une version différente de l’histoire ! Mon père et ma sœur n’avaient dit que la vérité, affirmant avoir voulu m’aider. Quant à ma mère et à ma femme, elles avouaient avoir cru à ma résurrection. Je ne voulais pas imaginer qu’elles avaient menti pour se sortir d’une situation que l’on savait déjà perdu d’avance ! Certains voisins vinrent témoigner à notre encontre. Pour eux, ce que nous avions fait était contre-révolutionnaire. Puis vint mon tour : je racontai avec exactitude les événements, sans oublier de rapporter mes sentiments par rapport à tout cela. Le juge paraissait n’en avoir que faire.

À peine nos témoignages finis, et sans même prendre le temps de réfléchir à la situation, le juge exprima notre sentence. Nous serions guillotinés le lendemain matin au lever du soleil.